Rapport du Comité RPRD : Équité entre les partis reconnus et les groupes parlementaires reconnus

 

Honorables sénateurs, j’aimerais parler du cinquième rapport du Comité sénatorial permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Le débat a été ajourné au nom de notre présidente, la sénatrice Bellemare. Elle a aimablement accepté que je prenne la parole aujourd’hui, après quoi, je crois, elle acceptera l’ajournement du débat et demandera qu’on reprenne le compte des jours à zéro.

Je voudrais vous faire part de quelques réflexions sur le cinquième rapport du Comité sénatorial permanent du Règlement, des procédures et des droits du Parlement. Le rapport est bref, puisqu’il fait moins d’une page si on ne compte pas les annexes. Brièveté et clarté ne vont toutefois pas toujours de pair. Voilà pourquoi je voudrais prendre quelques minutes pour souligner ce que je considère comme étant sa conclusion la plus importante.

Permettez-moi tout d’abord de rappeler le contexte.

L’objet de notre étude était de déterminer les modifications à apporter au Règlement pour assurer l’équité entre les partis reconnus et les groupes parlementaires reconnus. J’avais déposé une motion, en février 2020, proposant une série de modifications du Règlement à cette fin, que le sénateur Tannas a légèrement modifiée en juin. La motion est morte au Feuilleton à la fin de la 43e législature.

Ce qu’on appelle la motion Woo-Tannas a fourni un point de départ à notre étude, car elle indiquait une foule de dispositions du Règlement du Sénat qui ne tiennent pas compte de l’équité entre les groupes et les caucus. Par exemple, le représentant du gouvernement au Sénat et le leader de l’opposition disposent d’un temps de parole illimité dans les débats, tandis que les leaders et les facilitateurs des autres groupes ne disposent que de 15 minutes.

En ce qui concerne les votes par appel nominal au Sénat, le bureau du représentant du gouvernement et l’opposition sont les seuls à avoir leur mot à dire sur la durée de la sonnerie ou sur la possibilité de reporter le vote, ce qui exclut les autres groupes parlementaires reconnus.

En ce qui concerne les comités qui veulent se réunir en dehors des jours de séance du Sénat, y compris le premier lundi après une pause, seuls le gouvernement et l’opposition ont le pouvoir d’accorder leur consentement à cette fin. Combien de fois avons‑nous dû faire face à une situation où les membres d’un comité étaient prêts à se réunir, mais l’opposition a imposé son veto?

Je n’ai pas à vous rappeler que les sénateurs du bureau du représentant du gouvernement et du Parti conservateur représentent moins de 20 % de l’ensemble des sénateurs, et pourtant, leurs leaders ont le pouvoir de prendre des décisions qui nous concernent tous.

Aujourd’hui, la grande majorité des sénateurs sont non partisans. Nous sommes répartis entre trois différents groupes et certains d’entre nous siègent en tant que sénateurs non affiliés. Nous ne faisons pas partie du gouvernement. Nous faisons plutôt partie de ce que cette institution appelle traditionnellement « l’opposition ».

Il y en a cependant qui nous refuseraient la possibilité d’exercer pleinement nos droits en tant que sénateurs ne faisant pas partie du gouvernement. Ils voudraient que nous soyons des sénateurs de deuxième classe, autorisés de temps à autre à s’asseoir aux premières loges, mais uniquement avec leur consentement. On a proposé les modestes changements apportés au Règlement du Sénat et à la Loi sur le Parlement du Canada à contrecœur et avec condescendance, en se disant « noblesse oblige ». On nous rappelle constamment à quel point nous devrions être reconnaissants de ce qui nous a déjà été accordé et pourquoi nous ne devrions pas nous attendre à une égalité totale.

C’est le cas du cinquième rapport du Comité du Règlement. Il s’agit, à bien des égards, d’un « non-rapport », car il ne propose aucune solution à l’inégalité manifeste du Règlement du Sénat. Il faut dire que le comité n’a pas été en désaccord sur les règles qui consacrent l’inégalité de traitement des groupes du Sénat. On peut le constater à l’annexe 2 du rapport. Une majorité de membres aurait soutenu la modification de ces règles, mais le comité dans son ensemble n’a pas été en mesure de procéder à ces changements en raison de l’insistance d’un groupe à maintenir sa position privilégiée au sein du Sénat.

Je cite le rapport :

[...] l’Opposition au Sénat considère que son rôle d’opposition vient avec certains droits dans les règles et procédures de fonctionnement du Sénat;

Attendu que d’autres groupes parlementaires reconnus considèrent qu’ils doivent avoir les mêmes droits que l’Opposition dans les règles et procédures de fonctionnement du Sénat; [...]

Pour paraphraser, un groupe de sénateurs pense qu’il devrait avoir des pouvoirs que d’autres groupes n’ont pas.

Je parle bien sûr du caucus conservateur qui se proclame l’opposition officielle au Sénat, même si rien de tel n’existe dans le Règlement du Sénat ou dans la Loi sur le Parlement du Canada. La Présidente l’a confirmé dans la décision qu’elle a récemment rendue à la suite de mon rappel au Règlement. Pourtant, certains sénateurs conservateurs continuent d’utiliser cette appellation — en fait, ce sont les mêmes sénateurs qui prétendent être les grands défenseurs de la tradition parlementaire.

Cette distorsion délibérée de notre terminologie donne une impression de désespoir, mais son effet est pire encore en raison de la prémisse sous-jacente voulant que le travail d’opposition des conservateurs soit supérieur à celui des sénateurs non partisans. Quel est ce style d’opposition supposément supérieur? Je vais citer le sénateur Plett qui, en réponse à ma question sur un discours qu’il a prononcé sur la Loi de l’impôt sur le revenu — un discours truffé de contradictions et d’incohérences —, a dit ce qui suit :

Je prononce un discours qui est en opposition avec ce que fait le gouvernement, et je n’ai pas à défendre cela.

Le sénateur Plett a raison de dire qu’il n’a pas à défendre un discours dont le seul but est de s’opposer, mais, chers collègues, ce n’est pas ce qu’est un « second examen objectif » et ce n’est certainement pas la forme d’opposition qui devrait être privilégiée par notre institution.

Les conservateurs prétendent être la véritable opposition au Sénat, leur but étant cependant de former le gouvernement après les prochaines élections. C’est la prérogative des partisans politiques, mais cela ne reflète pas le Sénat du Canada d’aujourd’hui, qui est composé, en grande majorité, de sénateurs non partisans. Alors que les sénateurs conservateurs formeront l’opposition pour aussi longtemps que leur parti ne sera pas au pouvoir, nous, les sénateurs restants, demeurerons indépendants du gouvernement, quel que soit le parti au pouvoir. Comment pouvons-nous prendre au sérieux l’affirmation selon laquelle la véritable opposition au Sénat est le groupe qui abandonnera ce titre dès qu’il en aura l’occasion?

Honorables collègues, évidemment, nous pouvons avoir des points de vue différents par rapport à la définition d’« opposition », mais je suis convaincu que les sénateurs qui demeurent indépendants malgré les changements de gouvernement reflètent une compréhension davantage fondée sur des principes et plus cohérente de ce que cela signifie que d’être l’opposition à la Chambre haute non élue.

En conclusion, permettez-moi de rappeler comment nous en sommes arrivés là et d’expliquer pourquoi nous devons trouver une solution. Au cours des discussions au sujet de la motion qu’on appelle la motion Woo-Tannas, certains sénateurs ont affirmé que les modifications au Règlement devraient d’abord être étudiées par le Comité du Règlement avant que le Sénat soit appelé à se prononcer à leur sujet. Eh bien, la motion Woo-Tannas a été étudiée par le Comité du Règlement pendant des mois et ce dernier n’a pas réussi à dénouer la situation — pas parce que la plupart des sénateurs ne s’entendent pas au sujet des changements qu’il convient d’apporter au Règlement, mais parce qu’un groupe de sénateurs, qui représente moins de 15 % des sénateurs, ne croit pas en l’égalité de tous les groupes présents au Sénat. C’est le nœud du problème et c’est pour cette raison que je demande à tous les sénateurs de réfléchir aux prochaines étapes qui nous permettront de répartir plus équitablement les pouvoirs entre les groupes de sénateurs. Merci.

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