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Discours de la sénatrice McCallum à l'occasion du 100e anniversaire de la loi sur l'exclusion des Chinois

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation no 11 concernant le traitement infligé à nos sœurs et frères chinois. À titre de sénateurs et de citoyens du Canada, nous devons absolument comprendre comment les politiques d’immigration ont continué de façonner le racisme dans notre pays.

Je souhaite remercier le sénateur Woo d’avoir présenté cette interpellation et souligné la nécessité de combattre les formes contemporaines d’exclusion et de discrimination auxquelles sont encore confrontés les Canadiens d’origine asiatique.

Honorables collègues, dans un ouvrage intitulé Racial Minorities in Multicultural Canada, publié en 1983 par les éditeurs Peter S. Li et B. Singh Bolaria, l’auteur Gurcharn Basran, de l’Université de la Saskatchewan, a affirmé ceci :

Le racisme au Canada ne se limite pas aux années 1970 et 1980. Il a été pratiqué systématiquement par le gouvernement et la population de notre pays, en général, depuis le début de son histoire […] Il y a eu du racisme institutionnalisé tout au long de notre histoire. C’est surtout la population non blanche au Canada qui en a été victime. La chronologie de l’élaboration des politiques d’immigration et des politiques ethniques du Canada est la chronologie des politiques discriminatoires du gouvernement canadien envers la population non blanche.

L’auteur ajoute ceci :

On a fait venir des Chinois pour qu’ils participent à la construction de la ligne du Canadien Pacifique. Il était difficile de trouver des ouvriers de race blanche pour cette tâche. Dans son livre, Strangers Within Our Gates, M. Woodsworth souligne que :

Bon nombre de Chinois ont été acceptés au Canada pour la première fois afin de travailler à la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique, parce qu’il était pratiquement impossible de trouver de la main-d’œuvre blanche.

Dans le cadre de la discussion entourant les contributions de la main-d’œuvre chinoise à la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique, John Porter souligne ceci :

Sans la main-d’œuvre chinoise, la construction et l’achèvement du chemin de fer du Canadien Pacifique auraient été reportés indéfiniment. Ce n’est qu’en 1962 que les personnes de couleur originaires des pays du Commonwealth ont été considérées comme des immigrants potentiels, à l’exception du petit nombre d’entre elles qui ont été autorisées à travailler comme domestiques, un statut d’entrée réservé auparavant aux femmes britanniques et d’Europe de l’Est de classe inférieure.

L’auteur poursuit :

Il existe divers exemples de racisme institutionnalisé au Canada. Ceux qui étudient l’histoire canadienne en général, et ceux qui sont responsables de la politique d’immigration canadienne en particulier, sont parfaitement conscients que diverses dispositions législatives, lois et pratiques étaient discriminatoires envers les non-Blancs et les immigrants. Dès que la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique a été achevée en 1885 et que la main-d’œuvre chinoise a commencé à occuper d’autres emplois, un racisme institutionnel s’est installé sous diverses formes [...] En 1885, on a imposé une taxe d’entrée de 50 $ à tous les immigrants chinois. Cette taxe a été portée à 100 $ en 1900, puis à 500 $ en 1903. La taxe d’entrée s’appliquait également à d’autres immigrants asiatiques, tandis qu’on offrait une aide au transport aux immigrants britanniques. Les Chinois et les Indiens des Indes orientales devaient payer une taxe d’entrée au Canada et leur immigration a pratiquement cessé après 1907. Les Asiatiques n’ont obtenu le droit de vote qu’à la Seconde Guerre mondiale et, en Colombie-Britannique, on leur interdisait de pratiquer certaines professions. L’Acte de l’immigration de 1906 a conféré d’importants pouvoirs discrétionnaires aux agents d’immigration, et ceux-ci les ont utilisés contre les immigrants non blancs de manière impitoyable et discriminatoire [...] En 1907, des émeutes raciales surviennent en Colombie-Britannique au cours desquelles on s’en prend aux Asiatiques, à leurs propriétés et à leurs entreprises, détruisant leurs maisons.

[...] En 1907, les immigrants en provenance d’Asie devaient avoir au moins 200 $ en poche à leur arrivée. En 1919, ce montant a été porté à 250 $. En 1930, l’article 38 de la Loi de l’immigration interdisait le débarquement au Canada d’immigrants de race asiatique.

Honorables sénateurs, l’information dont je vais vous faire part à l’instant est le fruit d’une recherche effectuée par la Bibliothèque du Parlement. La première grande vague d’immigrants chinois a commencé avec la ruée vers l’or de la vallée du fleuve Fraser, en 1858. De 1881 à 1885, plus de 15 000 travailleurs chinois ont participé à la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique. Tout au long de la construction et jusqu’à la fin de 1882, 6 500 des 9 000 cheminots étaient des Canadiens d’origine chinoise. Ils ont été embauchés pour construire la section du chemin de fer qui traverse la Colombie-Britannique, un terrain où le travail se faisait dans les conditions extrêmement difficiles et dangereuses.

Les travailleurs chinois gagnaient 1 $ par jour, avec lequel ils devaient payer leur nourriture et leur équipement. De leur côté, les travailleurs blancs gagnaient de 1,50 $ à 2,50 $ par jour et ils n’avaient pas à payer leurs provisions. En plus de recevoir un salaire inférieur et d’avoir des dépenses plus élevées, les travailleurs chinois devaient exécuter les tâches les plus risquées, par exemple manipuler la nitroglycérine utilisée pour faire exploser les rochers. Les conditions très dures que devaient affronter les travailleurs canadiens d’origine chinoise pour construire le chemin de fer ont entraîné la mort de centaines d’entre eux à cause d’accidents, du froid hivernal, de la maladie ou de la malnutrition. Au total, entre 600 et 4 000 Chinois sont décédés en construisant le chemin de fer du Canadien Pacifique.

Bien que les travailleurs sino-canadiens aient affronté et surmonté de grands obstacles pour participer à la construction du chemin de fer, ils ont été tenus à l’écart des célébrations nationales entourant l’achèvement des travaux. Dans la photo emblématique et historique du directeur du Canadien Pacifique, Donald Alexander Smith, enfonçant le « dernier crampon » cérémoniel — lorsque les segments ouest et est du Canadien Pacifique se sont enfin rejoints à Craigellachie, en Colombie-Britannique —, tous les travailleurs sino-canadiens ont été écartés du cadre.

De nombreuses personnes ont souligné l’injustice persistante que représente cette image. Il n’y a pas un seul travailleur sino-canadien sur la photo, alors que des ouvriers sino-canadiens ont souffert, ont peiné et sont morts en construisant le chemin de fer qui symbolise aujourd’hui l’unité du Canada d’un océan à l’autre.

Le premier ministre John A. Macdonald a reconnu le caractère incontournable de la main-d’œuvre chinoise. Lorsque le gouvernement de la Colombie-Britannique a tenté d’interdire l’immigration chinoise en 1882, Macdonald a pris la parole à la Chambre des communes.

Son Honneur la Présidente intérimaire: Je suis désolée de devoir vous interrompre.

Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure?

La sénatrice McCallum: Il a dit : « [...] il nous faut des Chinois, ou nous n’aurons point le chemin de fer. »

Alors que la construction du chemin de fer touchait à sa fin, MacDonald a volontiers cédé à des politiciens, à des syndicalistes et à l’opinion publique animés de préjugés et faisant preuve de discriminations. En 1884, il a créé la Commission royale sur l’immigration chinoise, chargée d’examiner les façons de restreindre l’immigration chinoise.

Honorables sénateurs, le racisme institutionnel a été perpétué par la Loi sur l’immigration chinoise et plus de 100 autres politiques. Ces politiques refusaient aux Chinois le droit de voter, de pratiquer le droit ou la médecine, d’occuper une charge publique, de chercher un emploi dans le cadre de travaux publics ou de posséder des terres de la Couronne, entre autres restrictions. La Loi sur l’immigration chinoise de 1885 a imposé une taxe d’entrée aux immigrants chinois entrés au Canada entre 1885 et 1923. Ce fut la première loi de l’histoire du Canada à exclure l’immigration au motif de l’origine ethnique.

Au cours des 38 années pendant lesquelles la taxe a été en vigueur, environ 82 000 immigrants chinois ont payé près de 23 millions de dollars en impôts. Ensuite, en 1923, la Loi sur l’exclusion des Chinois a interdit l’entrée de tout immigrant chinois jusqu’à son abrogation en 1947. En 2006, le gouvernement fédéral a présenté ses excuses pour la taxe d’entrée et ses autres politiques d’immigration racistes visant explicitement les Chinois.

Honorables sénateurs, malgré le traitement et les politiques racistes, discriminatoires et contraignants que des Chinois ont dû subir au Canada, bien des gens se consacrent aujourd’hui à préserver et promouvoir la culture et l’histoire de la communauté chinoise au Canada. Ces gens ont un parcours semblable marqué par la persévérance, la détermination et la réussite, ils ont su surmonter la discrimination et ils ont laissé leur marque dans la société canadienne de façon durable. Je suis heureuse de souligner la contribution d’un petit nombre de personnes qui ont participé à ces efforts grâce à leur travail artistique.

Née à Toronto, Arlene Chan est une historienne, militante, athlète et auteure sino-canadienne. Dans son travail, elle raconte le vécu et les histoires de la communauté chinoise de Toronto, et elle nous fait découvrir des traditions importantes pour la diaspora sino‑canadienne.

Mme Chan agit comme conseillère auprès du Chinese Canadian Museum et du service des archives sino-canadiennes de la bibliothèque publique de Toronto.

Lan Florence Yee est une artiste en arts visuels basée à Toronto et à Montréal qui est également cofondatrice de l’événement Chinatown Biennial. Les œuvres de Lan ont été exposées dans d’innombrables musées et expositions, y compris à la Fonderie Darling, au Musée d’art contemporain de Toronto et au Musée des Beaux-Arts de l’Ontario.

Alice Ming Wai Jim est historienne de l’art, conservatrice et professeure à l’Université Concordia de Montréal, où elle a occupé la chaire de recherche en histoire de l’art ethnoculturel. Mme Jim concentre ses recherches sur l’art diasporique au Canada, en particulier sur les relations entre la culture remix et l’identité locale. Coéditrice fondatrice du Journal of Asian Diasporic Visual Cultures and the Americas, Mme Jim a également été chargée de recherche au Centre des études asiatiques et au Centre d’étude de la mondialisation et des cultures de l’Université de Hong Kong.

Karen Cho, née à Montréal, est une documentariste sino‑canadienne qui a notamment réalisé en 2004 le documentaire primé de l’Office national du film du Canada intitulé In the Shadow of Gold Mountain, qui met en lumière les effets de la Loi d’exclusion des Chinois au Canada. Son deuxième documentaire, Seeking Refuge, raconte l’histoire de cinq demandeurs d’asile qui ont trouvé refuge au Canada. Ce film est utilisé comme outil d’éducation et de sensibilisation par le Conseil canadien pour les réfugiés, ainsi que par d’autres organisations et universités à travers le pays.

Honorables sénateurs, il ne s’agit là que d’un petit échantillon de Canadiens d’origine chinoise qui s’efforcent d’élever leur culture face à un racisme croissant. Notre société est bien consciente de l’agression malavisée et infondée qui est infligée à nos voisins chinois. Les questions entourant la COVID-19, Huawei et les allégations d’ingérence politique ont toutes exacerbé les sentiments racistes. Ces questions ont eu pour effet d’aliéner nos sœurs et nos frères chinois au Canada, les obligeant à faire face à des niveaux croissants de racisme, de discrimination et de violence, qu’aucune personne vivant au Canada ne devrait avoir à endurer.

Honorables sénateurs, le racisme et les préjugés sont des comportements acquis. Ils sont contre nature et inacceptables. Les gens, et souvent les enfants, apprennent ces comportements préjudiciables autour de la table de cuisine ou au sein de leurs groupes d’amis, où ils sont exposés à ces discours et finissent par les accepter comme des vérités. Cependant, cette histoire de perpétuation du racisme n’est pas forcée de se poursuivre. Au contraire, le changement peut émaner de la sensibilisation et de l’éducation, le mieux étant de le faire par l’intermédiaire des établissements d’enseignement.

Pour les jeunes, cette éducation doit être continue, de l’école primaire jusqu’à l’enseignement postsecondaire. Cependant, comme nous le savons, désapprendre un comportement raciste a une grande valeur et est grandement nécessaire pour des gens de tous les âges, y compris dans la société et au Sénat. Tout comme les attitudes et les comportements racistes peuvent être appris par ignorance, ils peuvent être désappris au moyen de l’éducation, de la sensibilisation et d’un engagement à faire preuve de compassion envers l’ensemble de nos frères et sœurs, peu importe la couleur de leur peau ou leur pays d’origine. Kinanâskomitin. Merci.